Inspirations

Matthieu Martigny

La nostalgie peut-elle être un vecteur d’innovation ?

Fin 2021, pour la première fois dans l’histoire des deux marques, Joué Club et La Grand Récré ont sorti chacun un catalogue papier pour adultes. En plus d’être dans un format qui nous renvoie directement à notre enfance, avant l’époque des achats en ligne et des influenceurs numériques, les idées de cadeaux ne sont pas seulement des jeux « sensibles » et autres pour les adultes : Des produits Harry Potter et Dragon Ball-Z, des jeux amusants à déguster autour d’un verre entre amis, un hommage à Namco et autres expériences régressives. De nos loisirs à la politique, en passant par l’alimentation et la culture, rares sont les personnes dans la société actuelle qui ont échappé à la nostalgie et au « … c’était mieux dans le bon vieux temps ». Même les plus jeunes, sur lesquels nous projetons naturellement – à tort – des désirs de discorde et des idéologies avant-gardistes, célèbrent un passé, plus ou moins récent, pour son authenticité teintée de rose.

Alors que 68% des consommateurs français déclarent qu’ils auraient aimé vivre à une époque révolue, le marketing et la nostalgie semblent avoir de beaux jours devant eux. Des marques qui semblaient condamnées à disparaître ont été ressuscitées de manière positive : Polaroid, K-Way et même Solex ont atteint le statut d’icônes et leurs retours ont pris d’assaut le marché. Cependant, face à cette vague de rétro-marketing, sommes-nous condamnés à rester coincés dans le passé et à ne pas prendre de nouveaux départs ? Ici, chez Logic Design, nous ne le pensons pas ! En se basant sur les travaux d’Aurélie Kessous et d’Elyette Roux, qui ont identifié quatre cas types de nostalgie chez les individus, nous avons analysé des études de cas de marques qui innovent et même perturbent leur marché en jouant la carte de la nostalgie.

Faire revivre le passé au quotidien

La nostalgie au quotidien fait ressurgir un passé insouciant de notre enfance et de notre adolescence. Nous nous souvenons de moments de la vie quotidienne, comme les petits déjeuners en famille, les friandises après l’école et les jeux de cour de récréation. Les marques qui capitalisent sur ces souvenirs tentent de rassurer et de réconforter leurs consommateurs : Frichiti et ses plats d’enfance, Dop et ses saveurs « madeleine » ou « tarte aux fraises », Casio et sa nouvelle montre vintage en collaboration avec Pac-Man. Ici, la nostalgie permet aux consommateurs de revivre des moments passés ludiques et des expériences régressives.


Lego est également un bel exemple de marque qui a su tirer profit de ce sentiment, en innovant au sein de son marché et en s’adressant à une nouvelle cible : les adultes. En effet, un adulte sur trois en France joue désormais avec Lego (PlayWell, 2020) et ils représentent désormais 20% des ventes du groupe, contre 5% en 2010. La marque a su raviver les souvenirs des grands enfants en jouant sur les licences nostalgiques (Friends, Totally Spies, Star Wars), en favorisant les lancements en édition ultra-limitée, en transformant ses produits en objets de décoration. Pour séduire les adultes, Lego a également mis en avant de nouveaux bénéfices : La relaxation, avec des playlists ASMR dédiées, ou encore la stimulation de la créativité et de l’innovation avec la méthode « Lego Serious Play ».

Maintenir la tradition

La nostalgie de la tradition veut s’accrocher au passé et transmettre son héritage. Elle répond donc à une recherche de repères, satisfaite par exemple par l’attachement affectif et systématique à une seule marque. Elle répond également à une recherche de qualité, qui s’est amoindrie avec le temps. Certaines marques vont donc capitaliser sur leur héritage et leur authenticité : Danone a relancé sa recette originale sous la gamme  » 1919 « , de la même manière que Pepsi-Cola a lancé un soda premium nommé  » 1893 « . Ce retour des traditions a également été une bénédiction pour les anciens usages qui ont été ressuscités : disques vinyles, appareils photo argentiques, CD deux pistes, etc. Dans un monde de plus en plus numérisé, prendre son temps et vivre des expériences tangibles séduit un nombre croissant de consommateurs nostalgiques de périodes idéalisées.


C’est notamment ce que démontre aujourd’hui le succès de l’Orient Express, récemment remis en service par la SNCF en collaboration avec Accor. Tous ont gardé à l’esprit l’image luxueuse de ces voyages effectués entre 1883 et 1977, avec pour destinations Istanbul, Vienne et Venise, et qui ont acquis un statut mythique grâce à Agatha Christie et son roman « Meurtre à bord de l’Orient Express » publié en 1934. Aujourd’hui, il est à nouveau possible de se rendre en Italie à bord d’un Orient Express ressuscité, et de vivre une nouvelle aventure de « slow tourisme », éco-responsable et respectueuse de l’environnement. Mais si le projet a su innover, il ne propose pas pour autant un voyage figé dans le passé. Arthur Mettetal, directeur du patrimoine et de la culture de l’Orient Express, explique : « Nous proposons une expérience fondée sur un passé riche et varié, mais nous relançons également un train qui comporte désormais de nombreuses innovations technologiques et numériques, avec un confort amélioré pour les passagers ». De plus, c’est un style de vie complet que la marque souhaite désormais proposer, en diversifiant son offre et en collaborant avec des maisons de création de renom : Arts de la table, literie, maroquinerie de luxe, ainsi que des hôtels dans les villes traversées par le train. Ainsi, l’Orient Express a su se transformer et utiliser le meilleur de son patrimoine pour répondre aux nouvelles attentes et exigences des consommateurs.

Célébrer une étape transitoire

La nostalgie de la transition est généralement associée à nos premiers moments de liberté, à la fin de notre adolescence et au début de l’âge adulte. Il s’agit de la nostalgie des « premières fois », qui est particulièrement attachée aux objets, tels que le premier soin, le premier appartement, la première cigarette, ou même dans un contexte plus professionnel, le premier tire-bouchon pour un barman. Ces objets ont eu beaucoup d’importance dans la construction de l’identité de l’individu. Ils rappellent des souvenirs à la personne et plusieurs marques jouent sur ces souvenirs nostalgiques : Levi’s et son  » Project Survival  » qui rend hommage au premier soulèvement étudiant pour des causes environnementales dans les années 60, Volkswagen et son combi van iconique, Ford et son parfum  » Mach-Eau « ….


Renault joue ainsi sur ces souvenirs de transition – et notamment sur l’importance d’une première voiture – pour remettre en avant des modèles plus anciens et réaffirmer l’intemporalité de la marque. « Renaulution » : Voici le terme inventé par la marque pour définir sa nouvelle révolution axée sur la mobilité électrique. Presque paradoxalement, cette nouvelle vague prend la forme d’une citadine mythique, remise au goût du jour pour l’occasion : la Renault 5. Grand succès des années 1970, le nouveau modèle électrique de la Renault 5 touche la corde sensible de ses premiers consommateurs tout en répondant aux exigences de l’avenir. Pour continuer à faire vivre son histoire, la marque propose également la vente de ses produits dérivés sur son « Originals Renault Store » (casquettes, lunettes de soleil, vestes en peluche, objets de collection miniatures), devenant ainsi une gamme plus sentimentale et lifestyle. La nostalgie favorise une marque plus émotionnelle auprès des cibles.

Immortaliser un moment rare

La nostalgie de la rareté manifeste un moment unique et inoubliable de la vie de l’individu, ces moments créent un « avant/après ». Elle est particulièrement liée aux personnes disparues et aux objets auxquels elles sont associées, qui ravivent leur mémoire, « la montre qu’il portait », « le manteau qu’elle portait ». Pour les consommateurs attachés à ces moments rares, l’objet prend une valeur mémorielle. On retrouve ainsi des marques qui jouent sur le pouvoir de transmission de leurs produits, et qui capitalisent sur une image de longévité. Les publicités de la marque horlogère Patek Philippe et leur slogan « Vous ne possédez jamais réellement une Patek Philippe. Vous vous contentez d’en prendre soin pour la génération suivante », en sont un excellent exemple.


Cependant, c’est la NBA qui remporte le prix de la meilleure innovation, en comprenant la valeur des moments précieux. En effet, « NBA Top Shot » commercialise désormais des moments emblématiques du basket-ball par le biais des NFT. Pour vous rafraîchir la mémoire, un NFT (Non Fungible Token) est un élément d’une blockchain qui représente quelque chose d’unique. Il peut prendre la forme d’une image, d’une vidéo ou d’une chanson, et garantit à son acheteur qu’il en est le seul propriétaire. Les fans de basket-ball peuvent donc collectionner, échanger et vendre les moments les plus incroyables de leurs joueurs préférés. Avec ce nouveau marché de « cartes à collectionner » numériques, la NBA a su rendre iconiques des moments de son histoire tout en innovant sur un nouveau marché.

Pour conclure, Bernard Cova, chargé de recherche en marketing et sociologie de la consommation à la Kedge Business School, nous explique : « Les marques actuelles qui ont le mieux compris ce concept – une époque où, pour simplifier, nous sommes accrochés au passé et où l’avenir est plein de doutes – et qui ont fait preuve de « nostalgie régénératrice ». Ils vont chercher les meilleures parties du passé pour les réinterpréter et les réécrire dans un nouveau futur plus attractif. Ces marques se régénèrent dans le passé, afin de pouvoir avancer plus fort.  » Pour envisager la nostalgie comme un levier d’innovation, il ne suffit pas de copier le passé. Les marques doivent désormais penser à des offres hybrides, combinant l’héritage du passé et le progrès pour l’avenir.

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